Le vote des électeurs ayant une perte de vision avant 1930
L'Acte des élections fédérales de 1874 décrivait les processus de vote au Canada, notamment en ce qui concernait les droits des électeurs. La loi établissait que les électeurs devaient avoir le droit de voter de façon confidentielle et que leur bulletin de vote devait rester secret, loin du regard du scrutateur en particulier. Pour les électeurs qui étaient aveugles, cette option n'était pas envisageable.
À compter de 1930, INCA a commencé à plaider en faveur du vote secret et autonome des électeurs aveugles. Avant 1930, un électeur aveugle ou ayant une vision partielle ne pouvait voter qu'en dictant sa préférence à voix haute à un responsable des élections. Le scrutateur devait déterminer l'état de santé de l'électeur en s'assurant qu'il avait prêté un serment, qui se lisait comme suit :
« Je jure solennellement que je suis incapable de lire et de comprendre les bulletins de vote de manière à pouvoir les marquer, (ou) que je suis incapable, pour une raison physique, de voter sans l'aide du scrutateur. » [traduction libre]
Après la prestation de serment, le scrutateur marquait le bulletin de vote selon les instructions de l'électeur en présence des agents assermentés des candidats. Bien que le scrutateur ait prêté serment d'agir sans parti pris et de respecter la loi, cette méthode de vote posait des problèmes de taille aux électeurs ayant une perte de vision, en raison notamment de leur manque d'autonomie et d'intimité, sans compter les risques d'intimidation. Les bureaux de vote étaient souvent situés dans le hall d’entrée d'un hôtel ou d'autres lieux très fréquentés et l'électeur ne pouvait pas être certain que les passants n'entendaient pas pour qui il votait.
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Les efforts d'INCA en matière de défense des droits en 1930
Au printemps 1930, un comité spécial a été nommé pour envisager la modification de l’Acte sur les élections fédérales. Le 19 mars 1930, M. Richard Myers, secrétaire général adjoint d'INCA, a été appelé à comparaître devant le comité spécial. Il déclarait aux membres du comité qu'INCA avait été approché par de nombreux électeurs aveugles lui demandant de préparer une déclaration et de formuler des suggestions au Parlement pour des consignes de rechange qui permettraient aux électeurs aveugles de voter en secret.
Il a souligné à la commission que le système actuel prévoyait que le scrutateur, en présence des agents assermentés des candidats, marque le bulletin de vote au nom de l'électeur et le dépose dans l'urne. M. Myers a déclaré que c'était « la toute prochaine chose à faire pour ouvrir le vote ». Il recommandait que les électeurs aveugles puissent choisir une personne pour les aider à marquer le bulletin de vote, au lieu du scrutateur et des agents des candidats. Il a proposé un amendement à la commission :
« Lorsqu'un électeur présentant une déficience visuelle a souscrit au formulaire 28, il peut se faire assister par un parent ou un ami, à son choix, et par aucune autre personne, sauf pour voter au sens de l'article précédent. Cet assistant voyant doit accompagner l'électeur aveugle dans l'isoloir et marquer le bulletin de vote selon les instructions de cet électeur. Il ne peut agir que pour un seul électeur aveugle par élection et doit prêter le serment suivant avant d'entrer dans l'isoloir :
Je jure (ou j'affirme) que je connais bien Jean Untel qui est handicapé par la cécité.
Que je marquerai fidèlement son bulletin de vote selon les instructions dudit Jean Untel.
Que je ne divulguerai le nom d'aucun des candidats pour lesquels j'ai voté.
Que je ne ferai pas assister ce jour tout autre électeur aveugle. » [traduction libre]
M. Myers a fait remarquer qu'une modification de l’Acte des élections fédérales permettrait à INCA de plaider plus facilement auprès des provinces et des municipalités pour qu'elles apportent des modifications similaires. Il a déclaré à la commission qu'INCA « élève progressivement le statut des aveugles au Canada, et la situation est extrêmement différente de ce qu'elle était lorsque cette loi électorale avait été adoptée pour la première fois...Depuis la guerre, le statut des aveugles a été élevé dans une très grande mesure, et à tel point que je ne peux pas commencer à vous expliquer la différence entre aujourd'hui et l'année 1917 ou 1918. »
M. Myers a déclaré à la commission que dans le cadre de la procédure actuelle, de nombreux hommes aveugles refusaient de voter car ils se sentaient humiliés. « Un grand nombre de ces hommes aveugles sont très intelligents; ce sont vraiment des intellectuels. Je pense en ce moment à M. Swift, notre bibliothécaire, qui refuse absolument de voter. Puis il y a le capitaine Baker et M. McQuaig, qui refusent également de voter dans le cadre du système actuel. Ils estiment qu'ils devraient être autorisés à se faire accompagner de leurs femmes dans les isoloirs. »
Le 21 mai 1930, le comité a accepté la recommandation selon laquelle les électeurs aveugles devraient être autorisés à faire marquer leur bulletin de vote par un parent ou un ami à leur place.
Le 27 mai 1930, M. Lucien Cannon, le solliciteur général, a présenté à la Chambre des communes un projet de loi visant à modifier l’Acte des élections fédérales pour mettre en œuvre les recommandations du comité spécial. Il a présenté le projet de loi 309, une loi modifiant l’Acte des élections fédérales. L'article 4 de cette loi, dit-il, « prévoirait le vote des hommes aveugles. »
« 4. le paragraphe dix de l'article soixante-trois de ladite loi est abrogé et remplacé par ce qui suit :
63. (10) Le scrutateur, à la demande de tout électeur incapable de lire, ou incapable, pour une cause physique autre que la cécité, de voter de la manière prescrite par le présent acte, exigera de l'électeur faisant cette demande qu'il prête serment selon la formule n° 38 de son incapacité à voter sans assistance, et doit ensuite aider cet électeur en marquant son bulletin de vote de la manière indiquée par lui en présence des agents assermentés des candidats ou des électeurs assermentés représentant les candidats dans le bureau de vote et de personne d'autre, et glisser ce bulletin dans l'urne.
(10A) Le scrutateur doit soit traiter un électeur aveugle de la même manière qu'un électeur analphabète ou autrement incapable, soit, à la demande de tout électeur aveugle qui a prêté le serment selon la formule n° 38, et qui est accompagné d'un ami, permettre à cet ami d'accompagner l'électeur aveugle dans l'isoloir et de marquer le bulletin de vote pour lui.
(10B) Tout ami qui est autorisé à marquer le bulletin de vote d'un électeur aveugle comme indiqué ci-dessus doit d'abord prêter le serment qu'il gardera secret le ou les noms du candidat et des candidats pour lesquels le bulletin de vote de cet électeur aveugle est marqué par lui, et personne ne sera autorisé dans un bureau de vote à agir en tant qu'ami de plus d'un électeur aveugle. » [traduction libre]
L'Acte des élections fédérales modifié est entré en vigueur en juillet 1930, et les électeurs aveugles ou ayant une vision partielle pouvaient amener un ami ou un parent au bureau de vote pour les aider à marquer le bulletin de vote.
Obstacles intersectionnels au vote
M. Meyers a déclaré au comité qu'il y avait environ 7 000 Canadiens qui étaient aveugles à l'époque, soit environ 1 électeur sur 800. Il est important de rappeler qu'en 1930, seuls les hommes et les femmes blancs pouvaient voter sans égard au statut. Alors que les anciens combattant autochtones avaient le droit de vote, les hommes et les femmes autochtones n'ont pu voter au niveau fédéral, en fonction de leur statut, qu'en 1960 et 1985, respectivement. En 1963, le droit de vote universel a été étendu à tous les Canadiens, y compris les Japonais, les Chinois, les Noirs et les autres groupes raciaux, ethniques et religieux.
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La défense des droits au fil des ans
De nombreux électeurs aveugles ou ayant une vision partielle choisissent encore aujourd’hui de se faire accompagner sur le lieu de vote par un ami ou un parent de confiance qui les aidera à marquer leur bulletin de vote. Depuis 1930, le gouvernement fédéral a inclus de nombreuses distinctions pour rendre les pratiques de vote plus équitables pour ces Canadiens. INCA est intervenu pour préconiser un grand nombre de ces changements et continue de plaider en faveur d'élections accessibles et inclusives.
- En 1981, le Comité spécial de la Chambre des communes concernant les invalides et les handicapés a publié un rapport, intitulé Obstacles, dans lequel il démontrait que de nombreux obstacles subsistaient au Canada. Parmi les recommandations du rapport figuraient la mise en place d'un processus de vote par correspondance, l'adaptation des lieux de vote aux besoins de mobilité des personnes en situation de handicap et une offre de formation sur les besoins des électeurs handicapés aux préposés aux bureaux de scrutin.
- En 1987, le Parlement a présenté le projet de loi C-79, qui répondait à certaines des recommandations du Comité et des rapports du directeur général des élections au Parlement. Le projet de loi C-79 prévoyait que tous les bureaux de vote avancés et tous les bureaux de vote centralisés soient situés dans des bâtiments avec un accès de plain-pied. Ce projet de loi est mort au feuilleton lorsque le Parlement a été dissous avant les élections de 1988 - mais le directeur général des élections a continué à mettre en œuvre la mesure d'accès de plain-pied prévue par la loi, et un rapport publié après les élections de 1988 a montré que plus de 92 % des bureaux de vote avaient un accès de plain-pied.
- En juin 1992, le projet de loi C-78 a été adopté avec des modifications à la Loi électorale du Canada, ce qui était dû, en grande partie, aux efforts de défense des personnes handicapées et des organisations qui les représentaient. Le projet de loi C-78 a modifié la Loi électorale du Canada afin d'y inclure un bon nombre des mesures d'adaptation que nous connaissons aujourd'hui, notamment un gabarit tactile à l'usage des électeurs aveugles ou ayant une vision partielle, des services d'interprétation dans les bureaux de vote pour les électeurs handicapés et des campagnes de sensibilisation du public visant à fournir des informations aux Canadiens les plus susceptibles de rencontrer des difficultés dans les bureaux de vote.
- Le référendum de 1992 sur l'Accord de Charlottetown - un ensemble de propositions d'amendements à la Constitution - a été imprimé en braille, en consultation avec INCA.
- Lors de l'élection générale de 2000, Élections Canada a travaillé avec INCA et d'autres intervenants pour inclure des services aux électeurs handicapés. Ces modifications comprenaient la fourniture d'une trousse d'information générale aux électeurs en braille, en gros caractères et sur support audio, ainsi que l’embauche d’agents de liaison pour communiquer avec des associations ciblées pendant l'élection.
- Pour l'élection fédérale de 2019, les mesures d'accessibilité comprenaient un nouveau bulletin de vote mis à jour avec des caractères plus gros et un contraste accru, une loupe lumineuse, une liste de candidats en braille et en gros caractères, des modèles tactiles et en braille, et la possibilité de s’accompagner d’une personne de soutien pour marquer le bulletin de vote. En 2019, les électeurs aveugles ou ayant une vision partielle ont également pu utiliser leurs propres appareils fonctionnels pour marquer leur bulletin de vote, y compris leur propre loupe ou des applications d'intelligence artificielle au moyen de leur téléphone intelligent.
Bien que des pas de géant aient été fait depuis1930 pour accroître l'accessibilité du vote pour les électeurs aveugles ou ayant une vision partielle, il n'y a toujours pas de moyen pour un électeur aveugle de marquer son bulletin de vote de manière autonome et de vérifier son choix. INCA continue d’intervenir en faveur de mesures améliorées qui tiennent compte de toute une gamme de conditions de cécité - notamment des caractères plus gros, plus gras et plus brillants sur les bulletins de vote pour les personnes ayant une basse vision, ainsi qu'une option de vote par téléphone pour ceux qui préféreraient voter à la maison par téléphone.
La technologie offre également de nouvelles possibilités aux électeurs aveugles ou ayant une vision partielle pour voter de manière autonome, notamment l'utilisation du dispositif d'agrandissement préféré de l'électeur derrière l'écran de vote, ou l'utilisation d'applications d'intelligence artificielle sur un téléphone intelligent.
Matière à réflexion : Lors des élections, certaines villes renoncent aux frais de transport public pour encourager les gens à voter et faciliter l'accès aux bureaux de vote. Quels seraient d’autres moyens de rendre le vote plus accessible?